« Parfois, il faut voir ses rêves s’effondrer pour gagner sa vraie liberté. »

J’avais un plan précis

J’avais un plan, oui, ce n’était pas un rêve, mais quelque chose de très clair dans mon esprit. Profiter de ma beauté et de mon intelligence pour me marier avec un homme qui tomberait fou amoureux de moi. Cet homme serait un produit du patriarcat, CSP+++ (pour ne pas dire très riche), avec un profil similaire à celui de mon père dans ses valeurs. Avec un code d’honneur élevé, limite type mafia le truc. Une haute loyauté. 

Je voulais cocher les cases : homme puissant, valeurs traditionnelles, enfants beaux et intelligents, dressing organisé par couleurs.

L’idée était que ce mari pourvoit à tous nos besoins – sans limite -, en vivant dans une villa aux grandes baies vitrées avec vue sur notre piscine arborée par de beaux palmiers et des bougainvilliers multicolores. Tout en m’occupant quotidiennement de notre progéniture, et en accueillant le soir  avec dévouement ce cher et tendre époux avec de copieux mets. Une maison emplie d’odeurs, d’amour et de prières murmurés. Un mix entre mannequin et trad wife, mix sympa, qui en apparence me paraît l’alternative la plus sûre pour assurer mon avenir.

Ce que je viens de décrire, c’était mon plan à 16/17 ans, quand j’ai compris que l’école et moi nous n’irions pas bien loin ensemble et après avoir analysé le monde des adultes qui gravitaient autour de moi. Cela me semblait le plus sûr et stratégique sur le moyen, long terme.

Renaître autrement : la liberté, ce cadeau inattendu

Cet homme idéalisé, je le rencontre à 19 ans. Grand, charismatique, loyal et riche (enfin plutôt débrouillard), il arrive à déjouer le système grâce à une intelligence aiguisée. Première fois que j’arrive enfin à baisser ma garde et laisser un homme m’apprivoiser. Il sait s’y prendre. Recevoir de l’affection et de l’amour vient combler tous mes manques. Il me protège. Il me flatte tel le corbeau. Je plonge naïvement. Mais comment savoir que cette relation est basée sur de l’emprise et de la manipulation ? Lorsque depuis toujours on a cru que l’amour était basé sur de la violence, de la jalousie et du silence ? J’imagine être aimée, car je ne connais que ce type de relation, un pseudo amour conditionné, ou les émotions, ressentis et désirs sont niés et bafoués.

Quelques années plus tard, nous nous marions et avons nos deux premières filles. Enceinte de ma troisième fille, enchaînant les grossesses, la troisième est bien lotie dans mon ventre, elle est ce que l’on appelle un bébé surprise. Ou peut-être qu’inconsciemment je savais que ce mariage volerait bientôt en éclat et qu’il fallait donc le rentabiliser au mieux. 

De la villa rêvée à la réalité brute : entre maternité et solitude

Puis un beau jour, nous jouons au jeu de l’oie, Monsieur atterrit sur la case “prison”, quant à moi c’est sur la case “fauchée, sans sou et sans logement en France”. Je me retrouve seule à devoir tout reconstruire avec mes deux bébés et enceinte.

Il y a des scènes que je ne pourrais jamais oublier, qui sont gravées dans le marbre, comme face à ces escaliers en colimaçon et devoir mettre ma fille de 8 mois dans un cabas pour la porter, tout en portant de l’autre bras les courses jusqu’au 3eme étage et en drivant ma fille de 20 mois pour qu’elle monte les escaliers seule devant moi.

Ou encore porter et monter des meubles à 8 mois de grossesse avec deux petites filles, alors que je vis à côté de beaux frères.

Quand tout bascule : apprendre à survivre

Au fil du temps, j’accepte cette solitude, que celui qui me portait est derrière les barreaux pour un bon moment et que je vais devoir guider ma vie et accessoirement apprendre à être mère. J’apprends à me faire confiance pour guider ces petits êtres qui nous sont confiés pour un temps, dont la vie ne nous appartient pas. Je dois avouer que cette période a été une de mes plus belles expériences, bien que douloureuse, car me retrouver face à moi-même avec 3 petites filles me fait prendre conscience que la vie que je menais était bien loin de mon plan initial. Je découvre que la trad wife sur le papier ça peut sembler faire rêver sur le papier, mais en réalité j’étouffe jour après jour, surtout quand le plan ne se passe pas comme prévu. Je joue un rôle pour être aimée. J’ai sacrifié des morceaux entiers de moi-même pour que notre famille tienne debout et cela de manière insidieuse et inconsciente. Derrière chaque femme soumise, il y a souvent une femme piégée. Mais les ressources d’une femme sont infinies, surtout quand il s’agit de défendre sa portée ou son clan. 

Renaître autrement : la liberté, ce cadeau inattendu

Si Monsieur reste bloqué sur la case “prison”, je continue de jouer et j’avance. Je suis portée par l’amour que je porte à ma progéniture, je saute sans hésitation sur la case “évasion ”. Petit à petit, je me reconnecte non plus à mon plan d’adolescence, mais à la vie que je souhaite offrir à mes filles. Et cela change tout. Je n’avais pas prévu la liberté, c’est elle qui m’a choisie. Je ne savais pas que je traversais une tempête intérieure pour devenir un jour la femme libre que je deviens jour après jour.

Je me demande si toi qui me lis, tu as déjà pensé à une autre vie, si tu t’autorisais à un peu plus de liberté ?